Bienvenue au Mordor

Après une bonne nuit de sommeil, nous partons pour une balade de santé: laissant presque toutes les affaires au gîte, et munis d’un copieux pic-nique fourni par ce dernier, nous partons à la découverte du piton de la fournaise. Une courte montée nous amène au pas de Bellecombe, au bord de la falaise qui borde l’enclos. Une série de marches nous conduit ensuite au bas de la falaise pour une promenade sur la lave.

Ici, Sauron reigne en maître. Nous avons trouvé le Mordor!

Le sentier montant au sommet du cratère est fermé suite à des éboulements, et normalement interdit d’accès. Cela n’empêche pas de nombreux touristes de s’y aventurer. Puissent-ils servir de sacrifice humain au dieu Volcan… (L’important, dans les offrandes faites aux volcans, c’est de garder à l’esprit qu’ils ne digèrent pas le lactose, n’est-ce pas Guybrush?) Nous empruntons donc un autre sentier qui part sur le flanc Ouest du volcan, vers le cratère Rivals. La première partie du “sentier” (plutôt des marques de peintures peintes sur la lave pour ne pas se perdre en cas de brouillard) traverse l’enclos sur de vastes coulées de lave solidifiée en roche bien stable. Il est encore tôt, et le soleil n’a pas encore réchauffé l’air. Des montées de brouillard nous encerclent donc et donnent au paysage un air encore plus inquiétant. Peu à peu, la nébulosité se dissipe et nous laisse apercevoir l’imposant dôme (ou plutôt le “domme” pour adopter la prononciation française) du piton de la fournaise.

Une fois arrivés au pied du volcan, et lorsque le sentier commence à s’élever, le sol change du tout au tout. Nous passons sur plusieurs coulées de lave, tantôt formées de nombreuses scories, ou de roche vitrifiée ayant un aspect brillant et huileux. Les couleurs passent du noir foncé au rouge en passant par le mauve. En progressant vers l’Ouest, de nombreux cratères secondaires apparaissent, dans un décor exclusivement minéral ressemblant au Mordor de Tolkien.

Pas besoin de s’éloigner beaucoup du Volcan pour retrouver une abondante végétation. Ici sur le bord du rempart à l’Est du pas de Bellecombe.

De retour au gîte dans le courant de l’après-midi, nous profitons de la jolie vue, puisqu’aujourd’hui, le temps est resté bien dégagé. Par contre, pas question d’aller s’assoir sur le balcon du gîte: ce dernier n’étant que décoratif et pas homologué pour supporter des carcasses humaines! On se pose donc sur l’herbe un peu plus haut. Un couple et deux gamins insupportables se trouvent aussi devant le gîte. Je fais croire à Matteo que les parents s’offrent une chambre double et casent leurs mioches en dortoir, et que ces derniers seront dans notre chambre. Je dois vite avouer qu’il s’agit d’un plaisanterie, en voyant le rictus d’horreur déformer le visage de mon coéquipier!

Vue depuis le Piton Sale: Barrière rouillée, brume et forêt…

Arrivent soudain au gîte 2 silhouettes connues: il s’agit du couple croisé au gîte de la plaine des Chicots lors de notre premier jour de randonnée. Matteo avait trouvé leur accent particulier, et en les entendant discuter, il devient clair qu’ils sont belges. Donc nous ne sommes pas les seuls touristes non français sur l’île. (Ah oui, à Cilaos on a entendu une famille parler Schwiitzertüütch). On se retrouve d’ailleurs à côté d’eux au repas du soir, et vu qu’ils on fait le même itinéraire que nous (avec un jour de repos à Cilaos), on en profite pour échanger nos points de vue. Que ce soit ce que l’on a aimé (Mafate, Ti col, superbe itinéraire en général), et ce qui était plus douteux (guide ff randonnée, boue en descendant sur la plaine des cafres et “glauquise” du gîte de la plaine des Chicots).

De végétal à minéral…

Au réveil, même topo que le soir: temps écossais de catégorie 3. Mais tout d’un coup, le soleil fait une timide apparition, le temps d’apercevoir les montagnes environnantes et de s’assurer que nous sommes toujours à la Réunion. Quand on part, le soleil est bien là: tant mieux! La plaine des Cafres se présente donc sous un jour bien meilleur, et il est très agréable de progresser le long du sentier. Il y a certes un passage un peu boueux, mais ce n’est rien comparé à hier.

L’itinéraire commence sur des prairies grasses sur lesquelles se prélassent des troupeaux de vaches. Pour passer de champs en champs des échelles en V inversé de 4 ou 5 marches permettent de franchir les clôtures. Si certaines sont en bois massif et facile à passer, d’autres en métal et mal fixées sont plus délicates à négocier. Il est certain que les vaches ne savent pas gravir les échelles, mais (c’est en tout cas le cas de leurs consoeurs helvétiques), elles ne devraient pas non plus être capable de franchir ces petits tourniquets qui poussent dans nos champs, et ces derniers sont tellement plus agréables à franchir pour les piétons.

Un fier conquérent à la conquête du Piton de la Fournaise.

Il y a 900m de dénivelé à franchir pour atteindre le gîte du Volcan où nous dormirons ce soir (l’absence de point d’eau et de ravitaillement nous pousse à temporairement abandonner le camping). Mais une fois n’est pas coutume ce dénivelé s’effectue en pente douce, sur un chemin facile à parcourir. Au fur et à mesure de notre progression, nous quittons le paysage essentiellement végétal de la plaine des Cafres pour un monde de plus en plus minéral, bien que la verdure demeure encore bien présente.

Le volcan reste bien caché jusqu’à ce que nous parvenions à l’oratoire Ste Thérèse où nous pique-niquons. De là, superbe vue sur la plaine des sables et le volcan, même si la brume s’amuse à nous cacher la vue de temps en temps… Lors de la traversée de la plaine des sables, la végétation s’efface presque totalement. Des cristaux de glace sur le sol laissent à penser qu’il ne fait pas chaud la nuit par ici.

Le sentier pédestre traversant la plaine des sables.

Nous arrivons au gîte avec le soleil, mais les nuages ne tardent pas à nous englober. Souper au gîte le soir: le repas nous apparaît princier par rapport à nos habituels pâtes ou riz. Nous allons ensuite rapidement nous coucher, car cette magnifique étape sous le soleil nous aura tout de même bien fatigués: après le rhum arrangé accompagnant le dessert, nos yeux se fermaient tout seul.

Hou la gadoue, la gadoue

Journée en 2 temps: 1°) Aller voir le lever du soleil au sommet du Piton des Neiges et 2°) poursuivre notre route jusqu’à Bourg Murat.

En ce qui concerne le premier point, nous ne sommes pas tout à fait sûrs de l’heure du lever du soleil. Le GPS indique 6h55, mais ça nous paraît tard (Le froid aurait-il engourdi nos cerveau au point que le fait que l’on voit la lumière du soleil bien avant le lever à proprement parler nous échappe momentanément???).

Au fond, le volcan émerge timidement. Il paraît loin, mais nous y serons dans 2 jours.

On met le réveil à 4h00 (quand même, on aura 8h00 de sommeil!) et on part vers 4h30 en direction du sommet à la lumière de nos lampes frontales. A voir le petit défilé de loupiotes qui part du gîte, notre heure de départ est bien choisie. Nous arrivons au sommet une heure plus tard et sommes accueillis par un vent glacial, et une première personne qui nous a précédée. Petit à petit les gens arrivent, et nous ne tardons pas à être une cinquantaine. Aux environs de 6h00, l’horizon se teinte de rouge à l’Est, et nous découvrons le volcan ainsi que la plaine des cafres, cette dernière complètement recouverte de nuages. 1900 mètres sous nos pieds, Cilaos dort encore…

Le bivouac le plus haut de notre périple: Caverne Dufour, 2483m. C’est plus agréable maintenant avec un peu de soleil qu’hier soir!

Nous profitons de ces magnifiques lumières et commençons à descendre au moment où le soleil se lève… à 6h55 (toujours faire confiance à la technologie!). La lumière et le paysage sont magnifiques. Nous atteignons le gîte 1h plus tard et allons y boire un café avant d’aller replier notre tente et de poursuivre notre périple en direction de la plaine des Cafres.
La carte indique un itinéraire assez long, mais en pente douce. Une étape plus facile? Que nenni! Ça commence pourtant assez bien: malgré un chemin assez chaotique, nous longeons la bordure du cirque de Cilaos, avec de superbes échappées. Tout se complique à partir du moment où le chemin commence à descendre: d’abord humide, celui-ci devient boueux avant de tourner au franchement inondé et de finir en rivière. La progression est lente et pénible. Il faut faire attention à chaque pas de ne pas avoir de la gadoue jusqu’aux chevilles, ou de carrément tomber dedans. Ce chemin boueux continue jusque tout en bas, et il nous faudra plus de 5h00 pour atteindre notre but tout crottés. Arrivés sur la plaine des Cafres nous entrons dans des nuages, et il commence à pleuvoir. Pluie, brume, boue, champs et vaches: impossible de dire si nous sommes en Écosse ou à la Réunion.

Direction la plaine des Cafres depuis la caverne Dufour. Vue sur le coteau Kerveguen, qui délimite le cirque de Cilaos

Bien des noms à la Réunion sont assez descriptifs du lieu qu’ils définissent: “Roche Écrite”, un rocher avec des inscriptions; “Deux Bras”, où deux bras de rivière fusionnent, etc. Bon, il y a le Piton des Neiges qui ne doit pas en voir beaucoup et fait donc exception, mais quand nous arrivons à la “Mare à Boue”, force nous est de constater qu’il s’agit à nouveau d’un nom bien trouvé.

Nous arrivons à l’intersection avec la RN3 où se trouve une aire de pique-nique avec quelques kiosques. L’endroit n’est pas très sexy (les lieux magnifiques où nous avons planté notre tente les jours précédents, ainsi que la brume momentanée n’aident certainement pas…), mais il devrait nous permettre de nous passer des 3.5 km AR le long de la route nationale pour rejoindre Bourg Murat. En effet, nous avions fait les courses en conséquence et avions donc de quoi manger avec nous. Mais le point d’eau que nous nous attendions à trouver à la place de pic-nique n’existe visiblement pas… On ne coupera donc pas à quelques km en plus le long de la route. Matteo se propose d’y aller pendant que je garde les sacs et plante la tente. Il revient non seulement avec la précieuse eau, mais avec bières et chips pour s’improviser un petit apéro et nous redonner le sourire.

Camping à 2486 mètres

Après un copieux petit déjeuner à l’hôtel, histoire de se donner des forces, nous partons à l’assaut du rempart qui entoure Cilaos. Nous sommes à 1200m d’altitude, et nous devons atteindre le gîte de la caverne Dufour à 2500m. A voir la carte et les courbes de niveau presque superposées, c’est à se demander si nous n’aurons pas à gravir une échelle verticale. La première partie de l’itinéraire nous mène au “bloc”, le début de la montée sérieuse. Celle-ci est décomposée en deux tronçons séparés par un petit plateau à 2000 mètres, que l’on atteint vers midi, l’heure parfaite pour reprendre quelques forces avant d’attaquer la dernière partie de la montée.

Vue sur le Piton des neiges. On est presque en haut: plus que 600m de dénivelé.

Nous atteignons ensuite le col avant de nous diriger vers le gîte tout proche. En attendant son ouverture pour prendre un rafraîchissement bien mérité et pour se renseigner sur la localisation de l’aire de bivouac que l’on a pas encore repérée, nous nous posons dans l’herbe au pied du gîte pour nous reposer un peu. Mais qui voilà qui débarquent et s’installent à 2 mètres de nous? Vous ne le croirez jamais: Grande gueule 1 et Grande Gueule 2, que l’on avait déjà croisés à Marla! Nous sommes forcés de constater que la montée jusqu’à la cabane ne leur a pas coupé la chique, et que malgré leurs incessants jacassements, il leur reste encore des sujets de conversation à aborder! Matteo craque le premier et part faire un petit tour à la découverte des environs, ce qui l’amène à découvrir l’emplacement du bivouac. Nous nous y rendons sans plus attendre, laissant nos deux pipelettes à leur passionnante conversation. Nous installons notre bivouac à 2486m, le camping le plus haut de notre périple, et donc aussi le plus frisquet… Brrr, il ne fait pas très chaud, mais de toute façon il faut aller se coucher tôt car demain sera une longue journée…

Un inoffensif coq

Aujourd’hui, nous sortons du cirque de Mafate pour entrer dans celui de Cilaos, via le col du Taïbit. La montée est à l’ombre pour une fois, et nous paraît plus facile que prévue. Arrivés au sommet du col, nous avons effectué la totalité du dénivelé positif annoncé par le guide ff randonnées, laissant présager un chemin en descente jusqu’à la ville de Cilaos, notre but du jour. Alors en route…

On s’arrête dans la descente à un petit stand de l’association des 3 Salazes (des tisaniers dont la production ne doit probablement pas uniquement être bue…) pour un café et un bout de gâteau. Il y a là un journaliste de Lille qui veut poser des questions au fondateur de l’association. Mais voilà le reporter tout d’un coup terrorisé par l’arrivée d’un coq bien inoffensif, attiré par les miettes de mon gâteau. C’est la première fois que je vois quelqu’un effrayé et tétanisé par un simple coq. D’ailleurs, il est vraiment étrange de voir un Français paniquer devant son symbole national!

Arrivés au croisement de la route, on se rend compte – une fois encore – que les informations du guide ff randonnées sont totalement erronées, car nous voici déjà à peu près à l’altitude de Cilaos, mais il va falloir descendre au pied d’une rivière pour remonter de l’autre côté. Résultat : Plus de 100% d’erreur relative sur les dénivelés annoncés pour l’étape! C’est du sérieux ce topoguide…

Nous voici donc arrivés à Cilaos pour une nuit de remise en forme à l’hôtel avant de partir au Piton des Neiges. Nous profitons de la douche chaude et d’un bon repas créole au restaurant, sans parler d’une bonne nuit de sommeil.

Un gouffre de 80m

Aujourd’hui, direction Marla. Deux itinéraires s’offrent à nous pour atteindre notre but: On peut continuer de suivre le GRR2 que nous longeons depuis St. Denis, mais le parcours semble assez corsé, avec une descente vertigineuse au pied du Bronchard, puis une grimpette sur l’autre versant. L’autre possibilité consiste à suivre le GRR3 via 3 Roches. En plus d’être légèrement moins pentu, cette variante a aussi le mérite de passer par 3 Roches, un gouffre de 80m dans lequel plonge la rivière des Galets. La décision est vite prise : ce sera la seconde variante.

Trois Roches. La rivère des Galets se jette dans un gouffre de 80m

Nous longeons le pied du rempart du Maïdo, et arrivons à 3 Roches vers 10h30. L’endroit est très joli, et nous en profitons pour faire une pause et manger une orange. Nous sommes le weekend, et les chemins de randonnées sont tout de suite plus fréquentés. Durant le première heure de marche, on aura croisé autant de personne que les 5 derniers jours. La plupart arpentent le sentier au pas de course, probablement comme entraînement pour le Grand Raid (ou plus justement appelé “la diagonale des fous”). On mange après encore environ 1 heure de marche, au bord de la rivière des Galets.

Ensuite vient le dernier effort de la journée : la montée vers Marla. Vu l’entraînement des derniers jours, elle passe comme une lettre à la poste. A Marla, nous nous arrêtons à un petit bar/épicerie pour une bière fraîche et pour profiter de la vue… malheureusement pas dans le calme, la faute à deux marcheurs pipelettes présents sur la terrasse qui causent sans arrêt (mais vraiment, pas une seconde de pause, quand l’un respire c’est l’autre qui parle, incroyable !) . Au bout d’un (long) moment, ils prennent la décision de faire une sieste dans l’herbe, et règlent une alarme sur leur téléphone. Matteo et moi croisons les doigts… Mais en vain, car ils continuent à causer. Heureusement, ils finissent par décider d’abandonner la sieste et de s’en aller. Ahhhhhh…

J’essaie de repérer le col du Taïbit, par lequel nous quitterons demain le cirque de Mafate, pendant que Matteo semble occupé à scruter une imposante montagne devant nous. « Samuel, cette montagne là-devant…» Pensant qu’il cherche lui aussi l’emplacement du col, je lui réponds : « Ne t’en fais pas, c’est beaucoup trop haut pour être le col. On ne va pas là.» « Non mais je crois que c’est le Piton(*) des Neiges » Après vérification sur notre carte, il se trouve que Matteo avait raison : c’est LUI, cette imposante masse que Matteo m’avoue avoir à l’œil depuis un moment déjà. Donc finalement, oui, en effet, on ira jusque là, mais un peu plus tard.

Bivouac vers Marla à côté d’un petit ruisseau, et incontournable apéro…

On profiterait bien de l’épicerie pour faire des courses, mais le propriétaire s’est volatilisé sur son Quad. Qu’importe, on reviendra plus tard ; allons déjà planter la tente. On suit un panneau indiquant “Bivouac” mais sans trouver l’emplacement. Par contre nous trouvons un coin parfait à côté d’une petite rivière, et ayant manifestement déjà servi. Ce soir, c’est nous qui en profiterons. Une fois la tente montée pour qu’elle sèche de l’abondante rosée du matin, Matteo repart vers l’épicerie pour acheter de la nourriture.

(*) Et non Python des Neiges, comme je l’ai déjà vu écrit…

De grosses araignées

Départ du Camping un peu après 8h00 direction Roche-Plate. L’itinéraire commence par descendre vers la rivière des galets que nous franchissons à l’aide d’une passerelle de métal. S’en suit une brusque montée à flanc de coteau et au soleil en direction de l’îlet des Lataniers. Le chemin s’enfonce ensuite dans un étroit défilé ombragé, frais et fleuri, qui présente le double avantage de nous rafraîchir et de nous offrir encore un nouveau décor auquel nous ne nous attendions pas. D’ailleurs Slartibartfast a peut-être gagné un prix pour ses fjords de Norvège, mais le façonnage de la Réunion a probablement valu à son auteur un prix tout aussi prestigieux. Puisque l’on aborde le domaine de l’imaginaire, c’est le moment de mentionner que, au vu de son relief tourmenté et des hélicoptères qui s’engouffrent dans d’étroits passages, Matteo et moi sommes convaincus que l’île sert de base secrète au docteur No. Son plan machiavélique n’est pas encore très clair: peut-être s’agit-il d’un laser géant installé au sommet du Piton des Neiges avec lequel le SPECTRE menace de découper un quartier de la lune si les pays de l’OTAN ne versent pas une lourde rançon sous forme de diamants. Ou peut-est-il basé au Piton de la Fournaise qu’il a appris à maîtriser et menace-t-il de tirer des boulets de lave balistiques sur les principales villes européennes? Quoi qu’il en soit, notre itinéraire passe par ces deux points, et nous sommes bien déterminés à mettre un terme aux agissements maléfiques du Docteur No. Ceci dit, revenons à nos moutons…

Au sommet du Ti Col; un peu de repos après une forte montée (mais ce ne fût pas la pire…)

Peu après l’îlet des orangers, la brusque ascension verticale reprend pour atteindre Ti Col le long d’un sentier aux marches presque humaines. Arrivés au sommet, 16 yeux maléfiques nous scrutent: on a beau savoir qu’elles sont inoffensives, mais ces deux immenses araignées (bibes) sont quand même imposantes. La vue vaut — une fois encore — l’effort que nous avons fourni. sur notre droite nous apercevons notre but du jour: Roche Plate ainsi que le fond du cirque de Mafate. Sur notre gauche se déroule l’itinéraire des jours précédents, depuis la roche écrite jusqu’aux îlets traversés la veille.

Vue sur le Nord du cirque de Mafate depuis Ti col. Sur le plateau central trône Grand-Place.

Nous profitons de ce décor grandiose pour pic-niquer, avant d’entamer notre descente sur Roche Plate, où nous trouvons un camping chez l’habitant. Décor grandiose depuis notre petite terrasse, avec vue sur le Bronchard et le village de Roche-Plate. Juste dommage que la douche n’ait que l’eau froide… Après un peu de repos, on part de balader dans les environs pour faire quelques courses, dont une cure de vitamines C avec un jus fraise-banane et 4 oranges que le propriétaire va nous cueillir sur l’arbre et nous apporte avec quelques feuilles, histoire de nous montrer que les oranges poussent sur des arbres, et non dans les filoches de la Migros. Ceci dit, elles manquaient un peu de maturité, mais qu’importe!

Cirque de Mafate depuis Roche Plate. Les quelques maisons au fond, c’est Cayenne où nous avons dormi la veille.

Des Îlets perdus dans la verdure

Matteo sur un pont suspendu entre Îlet à Malheur et Îlet à Bourse.

Aujourd’hui nous partons pour une journée plus tranquille, puisqu’il y aura nettement moins de montée. Notre chemin nous conduit à travers plusieurs “Îlets” de Mafate: partis d’Aurère, nous traversons Îlet à Malheur, Îlet à Bourse, la Plaque, Grand Place, et finalement Cayenne. Ces petits villages coupés du monde et sans aucune route sont très jolis à traverser avec leur belles cases colorées. A 3 reprises, l’itinéraire descend vers des rivières qu’il faut traverser. Un passage se fait sur un pont, un autre à gué sur les pierres, et le meilleur : par une passerelle suspendue, l’occasion d’esquisser quelques pas de danse dignes du ballet Béjart. Vers Grand-Place, nous suivons un panneau “Boulangerie-Boutique” pour faire quelques courses. L’opportunité de trouver du pain frais nous réjouis, mais malheureusement, la partie boulangerie de l’échoppe ne consiste que d’un congélateur. Il est vrai que ces Îlets ne doivent pas être assez peuplés pour qu’un vrai boulanger s’y installe. Qu’à cela ne tienne, nous profitons de la magnifique vue offerte par la terrasse de cette boulangerie-boutique-gîte (le Pavillon) pour boire une dodo fraîche.

Il est 12h30 lorsque nous atteignons Cayenne. Juste l’heure de manger, en compagnie d’un chat assez téméraire dans ses tentatives de vol de nourriture. On se pose vers une chapelle. Un employé de l’ONF rencontré au gîte de Grand-Place nous avait indiqué l’existence d’un terrain de camping vers la chapelle, mais à part quelques m2 herbeux juste à côté du bâtiment, nous ne voyons rien… Ayant repéré une autre chapelle avec source sur la carte, Matteo se propose d’aller y faire un tour pendant que je garde les sacs. Il revient peu convaincu par l’odeur d’urine qui règne là-bas.

Vue depuis la terrasse du gîte de Cayenne

Le gîte de Cayenne étant juste à côté, on décide d’aller y faire une petite pause boisson. La terrasse du gîte est située à flanc de falaise avec une vue plongeante sur la rivière des Galets encadrée par d’imposants flancs rocheux. L’endroit est vraiment paradisiaque, et on se dit que l’on pourrait bien y rester pour la nuit. Mais tout à coup, une marcheuse de 35-40 ans débarque, suivie de 2 dames plus âgées. Le chien du gîte, un vieux bâtard à l’air inoffensif se dirige vers la plus jeune des 3 qui lui adresse la parole : “tu ne me mords pas, hein?” avant de crier à qui veut bien l’entendre (c’est à dire personne, donc) : “A qui est ce chien?” dans l’indifférence totale des personnes alentour, avant de commencer de soliloquer que son seul problème en voyageant seule, ce n’est pas la langue, pas les gens, mais les chiens, et blablabla et blabla bla (ad lib). L’arrivée de cette bruyante tête à claque nous donne envie de prendre nos jambes à notre coup, mais pas avant d’avoir demandé où se trouvait le camping.

Nous trouvons l’entrée du camping qui était littéralement sous notre nez durant notre pique-nique, mais de l’autre côté de la chapelle. Nous nous installons au calme, et une fois encore, dans un décor grandiose. L’accueil est très chaleureux, on nous offre l’apéro, et il y a des douches chaudes et WC. Que demander de plus?

Descendre pour mieux monter

On se réveille à l’aube et on plie discrètement la tente. Après un café et quelques biscuits, on part pour l’étape du jour. Le premier 1.5km est peu agréable, car il suit la route départementale descendant vers la côte, avec pas mal de circulation et aucun trottoir: aucune sécurité… et c’est un chemin pédestre! Mais nous arrivons bientôt au début du sentier qui doit nous amener au bord de la rivière des galets, puis dans le cirque de Mafate, où les routes ne seront qu’un mauvais souvenir. Des pictogrammes nous avertissent des dangers embusqués le long du sentier: passages de rochers, passages d’échelles, passages vertigineux, et passages glissants: tout un programme. Étant donné que le sentier d’hier ne comportait aucun avertissement de ce genre, on se demande ce qui nous attend! Sans être facile — le sentier descend vertigineusement de 900m à 250m d’altitude–, il reste tout de même bien plus aisé que celui du jour précédent.

Traversée à Gué du bras Sainte Suzanne. Ca glisse!

Arrivé en bas, il faut passer le bras Ste Suzanne à gué. Matteo bondit de pierre en pierre, mais connaissant mon agilité pour ce genre d’exercice, sans compter les 18kg sur le dos, cette manière de procéder se solderait par un plus que probable passage à la flotte. J’enlève donc mes chaussures et traverse dans l’eau. Nous entrons maintenant dans le cirque de Mafate dont les remparts se dressent de part et d’autre de la rivière des galets, que nous suivons à présent. Ces falaise verdoyantes sont impressionnantes, et l’on se sent pas bien grands. Il faut traverser la rivière 4 fois, ce qui se révèle bien plus faciles que le passage du bras Ste Suzanne. Mais, à cause de l’absence de pierres, il faut enlever les chaussures à chaque fois, traverser, se sécher les pieds, enlever le sable, remettre les chaussures, et repartir. Les Réunionais, eux, se baladent en baskets et traversent la rivière sans se déchausser ni même ralentir. Ils doivent avoir les pieds blindés pour ne pas avoir des cloques en marchant avec des baskets trempes… Au dernier gué, nous faisons la pose de midi, et en profitons pour se laver un peu, ainsi que nos T-Shirts.

Il nous a fallu 4h pour arriver jusque là, alors que le guide “ff randonnées” indiquait 1h40! Alors d’accord, peut-être que le temps de séchage des pieds après les passages à gué ne sont pas comptés, mais quand même, on est toujours loin du compte, ce d’autant plus que les autres tronçons ont été effectué en en temps sensiblement inférieur aux indications. Le sérieux et la fiabilité du guide sont grandement remis en cause(*).

Apéro sur le terrain de camping d’Aurère. On trouve même des Pringles dans les Îlets!

La portion du sentier le long de la rivière fût bien agréable: en pente douce, elle nous a aussi permis de se rafraîchir les pieds. Mais la rigolade est maintenant terminée, puisqu’il nous faut grimper à 950m d’altitude pour atteindre bord Bazar, soit environ notre altitude de départ: chouette étape en V. La montée est assez pénible, car nous montons sous un soleil de plomb un sentier très raide. En récompense par contre, le décor est grandiose, et l’on ne se prive pas de faire de courtes pauses pour admirer la vue, se reposer un peu et boire quelques gorgées d’eau. Après environ 2h de montée (alors que le guide en annonçait 40 min de plus, allez savoir!), nous arrivons au sommet. Une courte descente en pente douce nous conduit à Aurère, le premier véritable Îlet coupé du monde que nous traversons. Le village est équipé d’un terrain de bivouac avec une vue magnifique, et nous sommes tout content de nous y poser, avant d’arpenter l’ avenue principale d’Aurère (en fait le sentier GR!) à la recherche de l’épicerie (ou boutique, comme on dit par ici) pour compléter notre stock de nourriture.

(*) Note à postériori: En effet, on s’apercevra lors des étapes suivantes, que ce guide fait preuve d’une précision toute relative, faisant horreur à tout bon microtechnicien helvétique. On voulait même le brûler une fois la randonnée finie, mais j’en avais besoin pour écrire le journal de bord, alors en ce moment, il est sur mon bureau. Mais je ne donne pas cher de sa vie…

Montagnes Russes

Cette journée est partagée en 2 temps: Nous nous levons au lever du soleil (6h30), et après un rapide café, nous laissons les affaires et la tente sur place et nous commençons notre ascension de 430 m vers la Roche Écrite, l’un des plus beaux points de vue de l’île. La progression, en absence de sacs est un jeu d’enfant; enfin presque puisque le sentier est quand même un peu glissant. Nous progressons sur de la roche dans un paysage de savane. Le ciel est globalement bleu, mais des nuages débordent des sommets, laissant craindre un panorama bouché en haut, crainte qui se confirme au 3/4 de la montée, lorsque nous pénétrons dans la brume. De la brume surgit justement un spectre blanc — en fait une randonneuse dans une cape du plus bel effet– bientôt suivie de son mari habillé en spectre brun. Il s’agit d’un couple que nous avions croisé le soir précédent dans la salle à manger glauque du gîte, et qui avait l’ intention d’assister au lever du soleil depuis le sommet. Ont-ils eu la chance de bénéficier d’une vue dégagée?

Sommet de la roche écrite: 2276m

Arrivés à la roche écrite, nous nous trouvons face à une pénétrante purée de pois et à un vent frigorifique. On décide d’affronter le vent un moment et de rester pour voir si le ciel se dégage. Notre patience se révèle payante, car les nuages en altitude se dissipent rapidement, nous permettant de bénéficier d’une vue dégagée des sommets dominant les cirques de Mafate et Salazie qui demeurent, eux, sous une mer de brouillard. C’est déjà pas mal, mais après encore un peu d’attente, les cirques se vident subitement de leur brume, et un magnifique panorama s’ouvre sous nos pieds, plus de 1000 mètres plus bas. Après avoir pleinement admiré la vue, nous redescendons au bivouac, car malgré l’apparition du soleil, le vent a gardé la température assez basse.

Les nuages évacuent le cirque de Salazie: vue (presque) dégagée depuis la roche écrite
Matteo sur le chemin menant à Dos d’Âne

Après avoir plié la tente, la seconde partie de la journée débute, et nous nous dirigeons vers le village de Dos d’Âne. Il faut reprendre les sacs à dos: la partie de plaisir est terminée! Les paysages que nous traversons sont spectaculaires. On commence par traverser une forêt touffue dont les arbres ont des guirlandes de lichen, et font parfois des ponts au-dessus du chemin. Nous débarquons ensuite en bordure du cirque de Mafate, et bénéficions de points de vue grandioses sur la topographie acérée du cirque. Question sentier, par contre, c’est un peu plus technique, car nous avons affaire à un chemin pour petites chèvres, alors que, chargés de nos gros sacs, nous tenons plus de l’hippopotame que du cabri. Entre les marches de géant, les endroits boueux, les racines, etc. que d’endroit ou glisser! Heureusement, la végétation luxuriante aux abords du sentier rempli avec plaisir son rôle de main courante. Mais attention, certaines plantes ont des épines, comme ma main droite ne tarde pas à s’en apercevoir… Peu avant Dos d’Âne, nous marchons sur une crête pas beaucoup plus large que le sentier et bordée par deux précipices de ceux dont on n’a pas l’occasion de tomber deux fois. Lorsque nous arrivons à une intersection qui nous permet de couper une dernière montée, nous n’hésitons pas longtemps pour descendre directement sur le village.

Nous tombons par chance nez à nez avec une épicerie, dont le sympathique propriétaire nous convainc, après dégustation, d’acheter de son “fromage de tête” pour le pic-nique du lendemain. Nous nous dirigeons ensuite vers un terrain de pique-nique repéré depuis le sommet, où le camping est malheureusement interdit. Nous nous installons à une table et buvons une bière fraîche bien méritée, avec un peu de pain frais et de fromage de tête, dont il vaut mieux ne pas connaître la composition. L’essentiel, c’est que ce soit “bon”. Après le souper, nous installons discrètement notre tente un peu en retrait du terrain de pique-nique, cachée derrière des buissons.